Article publié le 18/12/2023

Le nomadisme numérique

Covid et Coconuts

Encore assez confidentiel et réservé à certains types de métiers avant la covid-19, le télétravail, propulsé par les confinements, concernerait aujourd’hui environ 35 millions de travailleurs. Mais on pense que la barre des 100 millions sera rapidement atteinte. La pratique du travail à distance est désormais rentrée dans les moeurs et semble installé durablement dans le paysage économique mondial (le développement des connexions à très haut débit y est aussi pour quelque chose).

Lors de notre convention d’Avignon, le 23 novembre 2023, nous avons réuni un panel d’experts en droit du travail, droit social, droit de l’immigration et assurance internationale. Pour envisager ensemble les points à considérer pour qui décide de retourner au nomadisme… numérique. En effet, la variété des cas exige de les considérer chacun individuellement. Le télétravail subi de chez soi n’est pas le nomadisme numérique choisi et pratiqué depuis un lagon lointain. Les implications légales dans les deux cas sont très différentes.

 

Nomade ou remote ?

Quitte à ne pas travailler chez son employeur, pourquoi ne pas en profiter pour faire de longs week-ends à l’étranger et travailler de là-bas un ou deux jours ? Ou bien travailler depuis l’appartement de ses parents, à la mer, à La Baule, à Pointe à Pitre ou encore au Maroc ? Quelle différence ?

De nombreux pays ensoleillés à l’année ont flairé le filon. Ils attirent des populations aisées en dehors des périodes de vacances et offrent désormais des visas, “nomad”, “remote worker” ou autres qui permettent de séjourner pour des périodes plus ou moins longues avec un minimum de coût. Précisons-la qu’il s’agit davantage d’un mode de vie qu’un statut juridique.

Ils sont actuellement une cinquantaine à se disputer ce marché, et leur nombre ne cesse de croître. Chacun offre un package concurrentiel par rapport à son voisin, il est donc difficile d’en dresser un descriptif standard. Cependant, on peut dire que ces pays proposent des permis de résidence de courte durée allant de 3 à 24 mois, ce qui est différent d’un permis de travail. Ils permettent de travailler dans le pays à distance, mais pas pour une entreprise sur place, uniquement pour des clients établis à l’extérieur du pays.

Il convient aussi de prouver que le résident ne sera pas à la charge du pays d’accueil ni financièrement, ni médicalement pendant son séjour sur preuve d’assurance et de ressources financières, allant d’un Smic à des sommes considérables. Il est souvent, aussi, exigé une preuve de casier judiciaire vierge. Ce statut s’adresse principalement aux free-lance. Dans le cas de salariés, il s’agit d’un tout autre schéma qui fera l’objet d’une étude dans une prochaine édition.

 

Et la France ?

La France, malgré ses atouts que sont les DOM, n’a aucun projet en ce sens quand ses homologues européens (Espagne, Grèce…) se sont engouffrés dans la manne du tourisme de travail. Cette pratique est désormais ancrée, aussi, dans les pays du nord (Canada, Scandinavie), où, tels les oiseaux, les cols blancs descendent passer l’hiver dans des îles paradisiaques pour travailler sous les cocotiers pendant des périodes de plusieurs mois.

Vision idyllique du travail de demain ? Un conseiller fiscaliste en rendez-vous à Vancouver, les pieds dans la piscine à Cuba ? Mirage californien ou réalité qui s’installe ? Les chiffres semblent indiquer que la tendance, encore jeune, est lourde. Mais ce mode de vie, qualifié de nomadisme numérique, impose de considérer avec beaucoup d’attention de nombreux critères.

En premier, les termes de l’accord avec l’employeur dans son pays d’origine et la mise au clair de toutes les conditions de travail. Ensuite, s’assurer que le pays cible offre un cadre d’accueil légal pour ce type de séjour.

Ainsi, l’employeur devra s’assurer de la sécurité individuelle offerte par le pays choisi. La sécurisation et compatibilité des réseaux par lesquels transitent des données confidentielles par nature, mais parfois ultra-sécurisées (domaine bancaire, brevets, défense…). Les conditions fiscales, d’assurance maladie, de cotisation sociale, de droit du travail… Le tout multiplié par autant de destinations que le remote worker choisira. Pour l’employeur, il s’agit d’un coût non négligeable, d’un risque également important et d’une productivité en baisse, estimée par de nombreuses études entre 10 et 20 %, en plus d’une réelle difficulté de coordination.

 

La fin de l’âge d’or ?

D’après l’enquête « 2023 CEO Outlook » de KPMG menée auprès de 1 300 PDG à travers le monde et dont les conclusions sont sorties en novembre 2023, les deux tiers d’entre eux prévoient un retour au bureau à temps plein sous 3 ans (pour les raisons citées plus haut).

L’avantage accordé aux employés, qui a aussi permis de maintenir l’activité des entreprises pendant la pandémie ne serait donc pas un acquis social irréversible. Cependant, à moins d’un retournement de tendance, la tension sur les talents va obliger les recruteurs à faire preuve de souplesse durant quelque temps encore. Afin d’assurer leur attractivité auprès des jeunes entrants sur le marché du travail et friands de ‘remote’. Mais ne sont pourtant pas concernés seulement les jeunes recrues ; les seniors peuvent voir un avantage à travailler à mi-temps depuis une maison de famille et les mères de famille économiser en frais de garde…

À la faveur de packages de plus en plus attractifs, la tendance au nomadisme risque donc de s’installer durablement dans le paysage économique.

Pour accompagner l’employeur dans cette tâche, les experts de la mobilité, très au fait des droits locaux, sont indispensables pour offrir des packages optimisés. Pour les acteurs de la relocation, la tendance au remote working doit constituer une nouvelle source d’activité. En offrant du conseil à l’employeur et de l’accompagnement à l’employé plutôt qu’une potentielle perte sèche des comportements individuels se substituant aux expatriations d’antan et passant sous tous les radars.

 

La suite dans notre édition de février 2024.

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